Face à l’épuisement et au dégoût exprimés par de nombreux soignants, cet article explore les réalités de terrain de la Creuse en mettant en lumière les défis et les solutions portées par les acteurs locaux. Au-delà des constats alarmants, il donne la parole à ceux qui, à travers leur engagement et leur créativité, cherchent à améliorer les conditions de travail, promouvoir une médecine libérale de qualité et encourager l’installation de jeunes médecins.
Portrait santé*
Superficie : 5 565 km²
Nombre d’habitants : 117 340
Nombre de communes : 256
Établissements de santé :
- 6 hôpitaux publics
- 2 cliniques privées
Ensemble des médecins (tout statut) : 253
Âge moyen : 53,2 ans
Médecins généralistes libéraux et mixtes :
- 97 (dont 61 de + de 55 ans)
- Densité médicale : 85,3
- 59% d’hommes et 41% de femmes
Médecins spécialistes libéraux et mixtes :
- 77 (dont 29 de + de 55 ans)
- Densité médicale : 67,7
- 71% d’hommes et 29% de femmes
- 12 ophtalmologistes
- 8 psychiatres
- 3 cardiologues
- 3 gynécologues
- 1 pédiatre
- 0 dermatologue
Variation de la densité médicale (2010/2023) : -15,70%
Nombre d’actes techniques/an : 92 266
Nombre d’actes cliniques/an : 469 460
Taux de médecins généralistes participant à la permanence des soins (PDSA) : 76,40%
Exercices coordonnés :
- 3 CPTS (74% du territoire couvert)
- 8 Maisons de santé
*Les sources : Statiss 2022 – Atlas de la démographie médicale 2023 – ISPL 2022 – CCAM 2022 – Agora Lib’ Sept 2023
Pour moi la ruralité est une évidence
Dr Anne-Odile DE LA FORTELLE
Avec le Dr Ludovic Le Moing, nous avons fondé la maison médicale de Moutier-Rozeille, et le garage santé, un tiers-lieu associatif. Amis depuis l’Université, nous partageons une même conception du soin et un intérêt pour les prises en charge non médicamenteuses.
L’idée était de créer une structure de médecine générale avec une organisation collective qui puisse fonctionner sans nous. Alors, au quotidien nous nous partageons les urgences, ce qui nous permet de bien connaître les patients de l’autre et de pouvoir se parler d’une consultation compliquée. Et cela me libère du temps pour dédier une partie de mon activité à l’acupuncture.
Nous organisons des groupes de partage de pratiques, d’échange sur des cas complexes. Nous travaillons avec une infirmière Asalée. Nous avons également des liens privilégiés avec une praticienne en activité physique adaptée. Nous avons aussi protocolisé des parcours de soins pour le burn-out et la lombalgie chronique…
Mais, en plus du cabinet, le lieu comprend un hangar dont on avait envie de faire un lieu associatif de santé. Il y a un groupe de parole sur la spondylarthrite ankylosante et des journées thématiques en partenariat avec la Scène nationale d’Aubusson, comme l’année dernière où s’est tenu un spectacle sur le surpoids. Le garage santé est un lieu d’expérimentation qui permet d’ouvrir le spectre du soin et le cercle des partenaires. Le but étant qu’il bascule ensuite sur la CPTS. Et qu’au bout de 4 ans des confrères commencent à vouloir nous rejoindre.
Être attractif et avoir la même offre de soins à la campagne qu’en ville : c’est possible
Dr Nicolas BERGEON
J’ai lancé l’activité de médecine vasculaire au sein de la clinique de la Marche à Guéret en 2017. Des confrères m’ont rejoint en 2019, en 2021 puis cette année. La recette ? On couvre 95% des pathologies liées à notre spécialité et on fait autant de diversité d’examens que dans un CHU de grande ville. On a un secrétariat physique avec une véritable relation humaine. Cela permet de se concentrer sur le temps médical, et les soins réalisés en plus paient largement le coût du salaire. C’est bon pour soi, pour l’emploi, pour tout.
L’intérêt à la campagne c’est qu’il n’y a pas d’obstacles, on arrive à faire de belles choses. On organise régulièrement des réunions sur les innovations, comme le traitement thermique endoveineux. J’ai créé un compte Instagram pour expliquer les techniques médicales pour que les patients sachent que cela existe à la campagne aussi. Et j’aimerai développer des vidéos éducatives pour faire passer des messages au jeunes.
En revanche, il ne faut pas avoir peur de travailler. On se confronte à une demande importante. Mais la patientèle est différente, les patients sont plus respectueux et il y a moins de consumérisme médical.
Quand on doit absorber la patientèle de 2 médecins, il est important d’être bien entouré
Dr Marion BETHMONT
Quand je suis arrivée à Mainsat en 2020, une équipe de soins primaires (ESP) était déjà constituée avec deux médecins, une orthophoniste et des infirmières, dont une était en formation d’IPA. Depuis, l’ESP s’est étoffée avec l’arrivée d’un confrère puis de la compagnie d’ambulances. Une des secrétaires est devenue assistante médicale. Elle fait les dossiers de renouvellements d’ALD, les demandes d’APA, de SSIAD, elle prend les constantes… C’est un gain de temps considérable ! Avec l’IPA on a une conception du soin très semblable et on travaille en équipe. Alors le suivi est optimisé. Surtout depuis que l’on communique avec PAACO globule.
Du fait de la multitude des plateformes, la récupération des comptes-rendus reste chronophage malgré la bonne volonté des personnes. On aimerait avoir plus de temps pour des réunions de concertation, mais en si peu de temps c’est déjà une bonne dynamique.
Pour autant, l’installation a été difficile ! La charge administrative, immobilière, avec les travaux et l’articulation avec la communauté de communes propriétaires des locaux a été longue. Un interlocuteur unique, pro-actif serait un plus. Il y a aussi une impréparation à l’exercice en libéral lié à notre formation. J’ai réalisé que j’allais être patronne le jour où j’ai signé mon 1er contrat de travail : heureusement que j’avais des bases en droit du travail !
La ruralité est un terrain idéal pour la mise en place des CPTS
Dr Ludovic LE MOING
Avec l’activité de notre cabinet, sans l’anticiper, on a préparé le terreau pour que la mise en place de la CPTS sur notre secteur se passe bien. Les formations pluriprofessionnelles que nous organisions regroupaient déjà 30 à 40 personnes. Les opérations « aller-vers » de la période covid ont été des occasions pour se rencontrer. A cette époque nous avons lancé une newsletter pour informer des évolutions du cabinet et du projet de CPTS. Lors de la première journée d’information, nous avons rapidement pu identifier une équipe pilote qui a commencé à écrire le projet puis à préfigurer le CA et le bureau. Quant au projet de santé, les réunions ont vite rassemblé entre 20 et 30 personnes à chaque fois.
Bien sûr, pour l’instant, cela reste encore théorique mais on a rencontré l’ensemble des associations du secteur œuvrant dans le domaine de la santé. Notre infirmière Asalée a réuni les Asalée du département lors d’une rencontre. Un groupe de travail s’est créé et est en train de rédiger des protocoles communs de prévention sur des thèmes comme l’obésité de l’enfant. On se coordonne également en binôme pour l’accueil des internes, pour le logement ou des aspects pédagogiques. On les invite aux réunions des CPTS, d’échange des pratiques. Le projet est de fédérer avant tout et cette dynamique est attractive, surtout que nous sommes bien guidés par Agora Lib’ pour la rédaction des budgets, des fiches de postes…
Quand un protocole de délégation de tâches arrive, pour nous en ruralité c’est déjà du concret. Tout le monde se connait, donc il n’y a pas de craintes de perte de pouvoir. Idem avec l’hôpital local. La CPTS est un terrain idéal pour expérimenter la télé expertise. On a des réflexions sur la télé consultation assistée par les infirmières libérales pour les personnes âgées à domicile. La CPTS, c’est l’outil pour développer les initiatives et la ruralité, le terrain d’expérimentation idéal pour des projets à taille humaine.
La Celle Dunoise - Il y a une dynamique en Creuse parce que c’est au centre de la France
Dr Claude LANDOS
Installé depuis 86, je suis très critique face à la situation actuelle mais on ne va pas quitter le navire ! La ruralité c’est porteur d’espoir. On peut être un laboratoire d’idées. Et on a souvent plus de facilités à les mettre en place parce qu’on connait tout le monde, on a la possibilité de rencontrer les interlocuteurs politiques et administratifs plus facilement.
L’année dernière, par exemple, on a réfléchi à comment profiter des « critériums médicaux », qui regroupent entre 1200 et 1500 étudiants en médecine, pour qu’ils gardent une bonne impression de la Creuse. On a alors organisé une table ronde avec l’ensemble des acteurs sur les aspects positifs de la ruralité qui s’organise pour avancer et on a mis en avant le travail collaboratif.
Je travaille avec une infirmière Asalée depuis 15 ans. On avait été la première MSP de Creuse et le premier site Asalée, donc je suis allé conseiller les nouveaux sites. Le CH de Guéret avait envie de faciliter l’articulation ville-hôpital. On a donc développé des réseaux entre généralistes et spécialistes. On a un travail qui est privilégié et avec de l’humain.
A l’heure actuelle il y a un tel problème de démographie médicale que certains collègues n’acceptent plus de prendre en charge les patients compliqués et chronophages. Pourtant, avec ces dispositifs, cela permet de ne pas se retrouver seul à gérer les cas complexes, notamment grâce au DAC, de ne pas perdre de vue certains patients en cas d’hospitalisation ou de départ en institution, mais aussi d’avoir un pied dans le social.
Conseil Départemental de l’Ordre des Médecins de la Creuse
Dr Jean-Paul Lamiraud, Président
Le département de la Creuse a une image plutôt négative (de désert global, département âgé et pauvre), avec un état sanitaire très dégradé et une prévalence des addictions diverses et une mortalité importante par cancer. Il reste un département très rural, joli et agréable, avec une densité de population basse (sans grosse agglomération), 286 000 habitants en 1900, 146 000 en 1980, 115 000 aujourd’hui.
Avec le boom médical des années 1975 / 1990 le département a été bien doté, avec un nombre important de médecins généralistes (120 en moyenne), médecins de campagne et de famille avec un fonctionnement traditionnel, et un nombre de spécialistes libéraux bas et des structures d’hospitalisation publiques et privées de bon niveau.
Mais le renouvellement des générations n’a pas été efficient ; actuellement on peut parler de grandes difficultés d’accès aux soins, que ce soit de premier recours (77 généralistes*) ou second recours, 12 spécialistes libéraux*, avec de nombreuses spécialités non représentées (ORL, dermato, ophtalmo) ou très peu représentées, et une offre hospitalière aussi très réduite.
Ainsi, pour être pris en charge les creusois sont obligés de se déplacer à Limoges ou plus loin encore, soit des distances de cent kilomètres à minima ! L’exercice médical de premier recours se transforme progressivement, avec l’entrée en lice des élus, le positionnement de la CPAM, sous la gouvernance des ARS déclenchant la mise en place des MSP, alors que souvent les médecins libéraux n’adhéraient pas immédiatement à ce changement passant d’une activité individuelle à un exercice plus collectif.
Un autre changement qui, à mon avis, devient préjudiciable est l’état d’esprit des médecins, avec une perte de la spontanéité et une rigidité organisationnelle qui rendent l’accès aux soins plus complexe et beaucoup plus lent (comme le témoigne le temps d’attente pour des rendez-vous).
Sur le territoire nous nous dirigeons vers une organisation autour de MSP chapeautées par des CPTS.
Enfin, pour les départements à faible densité de population, les pouvoirs publics doivent en accord et en concertation avec les médecins tout faire pour garantir un accès aux soins de second recours acceptable, afin de ne pas aggraver la perte de chance (amélioration et efficacité des GHT publics ou privés, consultations prioritaires, créneaux réservés…).
*Chiffres libéraux exclusifs au 01/09/23
Les Dispositifs d’Appui à la Coordination (DAC) : Kesaco ?
Les dispositifs d’appui à la coordination des parcours de santé complexes permettent d’offrir à la personne prise en charge une réponse globale et coordonnée, quels que soient son âge, sa pathologie, son handicap ou sa situation. Les DAC recherchent et mobilisent l’expertise des professionnels, organisent et coordonnent les interventions à domicile, préparent les sorties d’hospitalisation… Ils font systématiquement le lien avec le médecin traitant.
Pour joindre le DAC régional, un contact unique : 0809 109 109
Dispositif d’Appui à la Coordination de la Creuse (DAC 23)
Spécificités du DAC 23 :
- Un travail collaboratif mené avec le SDIS et le Département de Creuse sur le repérage des patients « chuteurs » à domicile. Depuis le début de l’année, le SDIS 23 a signalé au DAC, plus de 200 patients fragiles à domicile ;
- Collaboration avec les établissements sanitaires et les CPTS sur la sécurisation des retours à domicile après un passage aux urgences ou suite à une hospitalisation. Le DAC est également associé aux réflexions relatives à la mise en place du Service d’accès aux soins (SAS) en Creuse ;
- Le DAC 23 prévoit de renforcer son équipe de coordonnateurs d’appui au parcours et d’assurer des permanences de proximité au sein des Maisons de Santé Pluriprofessionnelles (MSP) du département.